Tiré de Entre les lignes et les mots
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Dans le système juridique iranien, les femmes ne sont pas reconnues comme cheffes de famille. Pourtant, elles sont contraintes de travailler de longues heures, bien au-delà de la durée légale, dans des ateliers de production.
Le soir venu, elles rentrent chez elles pour s’occuper de leurs enfants et des membres malades de la famille, assumant également les tâches ménagères malgré une profonde fatigue.
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Aperçu de la condition des travailleuses en Iran
Il n’existe aucune statistique fiable sur le nombre exact de femmes travailleuses en Iran. Les rares données disponibles proviennent des agences gouvernementales et sont incomplètes. Une grande partie de ces femmes exercent dans desemplois informels ou travaillent à domicile, ce qui les rend encore plus vulnérables. Employées sous des contrats flous, parfois signés à blanc avant même de commencer, elles perçoivent souvent un salaire inférieur au minimum légal [1]. (Source : Site “Empowerment of the Government and Society” – 8 février 2022)
Problèmes et défis rencontrés par les travailleuses
Salaires injustes et écart salarial entre les sexes
Survivre face aux difficultés économiques — logement, soins de santé, éducation — est un défi pour la majorité de la population iranienne sous le régime clérical. En 2025, le salaire minimum mensuel a été fixé à 10,39 millions de tomans (environ 111 USD). D’après les médias d’État, ce montant ne suffit même pas à couvrir les dépenses hebdomadaires d’une famille de trois personnes.
Le prix du panier alimentaire minimum a grimpé de plus de 340 % en quatre ans. Des produits de base comme le sucre, l’huile et les pommes de terre ont augmenté de plus de 400 %, tandis que la viande rouge a vu son prix exploser de plus de 800 %. (Source : Site d’État Eṭla’e Ma – 15 mars 2025)
Le coût des médicaments et des soins de santé a bondi de 400% ces cinq dernières années, si bien que de nombreuses personnes renoncent à remplir leurs ordonnances. (Source Journal Arman-e Melli – 3 mars 2025)
Malgré cela, de nombreuses travailleuses, souvent cheffes de famille, perçoivent un salaire encore inférieur au minimum légal. L’agence ILNA a reconnu, dans un rapport du 19 décembre 2019, que l’Iran se situe au bas du classement mondial en matière d’inégalités salariales entre hommes et femmes.
Dans les ateliers iraniens, les femmes sont privées de nombreux droits fondamentaux : elles ne bénéficient ni de congés maternité, ni de pauses allaitement, ni d’indemnités. (Source : Journal E’temad – 22 novembre 2022)
Emploi informel et double oppression des femmes travailleuses
En 2022, une militante estimait à plus de 2 millions le nombre de femmes travailleuses dans le secteur informel en Iran. Ces femmes, exclues de toute protection sociale, ne perçoivent même pas le salaire minimum et sont privées de la moindre prestation ou avantage professionnel. (Source : Site Fararu – 11 janvier 2023)
Cette exploitation invisible des travailleuses iraniennes génère d’énormes profits pour leurs employeurs. En échange de leur labeur épuisant, nombre d’entre elles doivent se contenter d’un salaire mensuel dérisoire, compris entre 2 et 3 millions de tomans (environ 213 à 320 USD). (Source : Fararu – 11 janvier 2023)
Déjà en 2018, Ahmad Amirabadi Farahani, membre du conseil parlementaire, qualifiait les conditions de travail des femmes devéritable esclavage moderne, déclarant : L’injustice exercée dans certains centres de production, notamment en matière de non-paiement des salaires et de longues heures de travail, représente une forme d’esclavage moderne envers les femmes. »
Pression de travail intense et insécurité professionnelle
En l’absence de protection juridique adéquate, et exposées à l’exploitation même par les employeurs publics, de nombreuses femmes travailleuses en Iran sont contraintes de travailler 12 heures par jour ou d’accepter des horaires de nuit. (Source : IRNA – 30 avril 2024)
Hassan Habibi, militant syndical, a souligné que : « Les femmes subissent davantage de préjudices que les hommes en raison de l’insécurité de l’emploi. Certaines sont cheffes de famille, et malgré leur rôle essentiel, elles sont confrontées à de nombreuses difficultés : salaires très faibles, absence de congé maternité, et discrimination. La majorité des entreprises privées mettent fin à leur contrat dès qu’elles apprennent qu’une femme est enceinte. » (Source : ISNA – 29 juillet 2024)
Absence de sécurité au travail pour les femmes travailleuses
Selon un rapport de l’agence ILNA daté du 26 mars 2025, environ 50 travailleurs meurent chaque semaine en Iran à cause d’accidents professionnels, de la négligence des employeurs et du manque de contrôle des inspecteurs du travail. Rien que pour le premier semestre de 2025, 1 077 travailleurs ont trouvé la mort sur leur lieu de travail, soit près de 200 décès par mois.
Une étude récente du Centre de recherche du Parlement iranien rapporte qu’en 2021 et 2022, 84 638 travailleurs ont été victimes d’accidents du travail en Iran, dont 3 826 décès. Ces chiffres concernent uniquement les travailleurs assurés, enregistrés par l’Organisation de la sécurité sociale.
En parallèle, l’Organisation de médecine légale iranienne a déclaré que 1 900 personnes sont mortes dans des accidents de travail en 2022. Cette divergence statistique met en lumière l’ampleur du travail informel en Iran et le nombre élevé de travailleuses non assurées. (Source : Hammihan Daily – 14 avril 2025)
Les femmes travailleuses en Iran n’ont généralement ni assurance, ni accès au transport professionnel, ni services de restauration. Certaines, malgré 15 années de service, n’ont ni contrat de travail, ni couverture sociale, ce qui les rend extrêmement vulnérables face aux accidents professionnels.
La plupart de ces femmes exercent dans des lieux de travail non contrôlables par les inspections officielles, ou bien leurs horaires de travail ne coïncident pas avec la présence des inspecteurs. Le nombre de blessures et d’accidents professionnels chez les femmes est en constante augmentation.
Le 20 décembre 2022, un fourgon transportant des travailleuses d’un entrepôt frigorifique à Bahar a pris feu. Les femmes, confrontées au manque de chauffage, avaient allumé un réchaud à gaz dans le véhicule. Celui-ci a déclenché un incendie, bloquant les portes, et a causé la mort de 5 femmes.
Le 31 décembre 2022, une ouvrière d’une usine située dans un parc industriel à Yazd est morte noyée dans un bassin d’eau. Les accidents de travail chez les femmes iraniennes sont bien plus fréquents qu’on ne le pense, mais à cause de leur invisibilité sociale et de l’absence de syndicats féminins, ces chiffres ne sont ni recensés ni médiatisés. (Source : Fararu – 11 janvier 2023)
En juin 2022, une ouvrière de 26 ans à Nishapur a perdu la vie lorsqueson foulard s’est pris dans une machine à injection plastique. Elle était mère de deux jeunes enfants. Ce drame évitable est survenu en raison du port de vêtements non conformes aux normes de sécurité.
Le 8 mai 2022, une femme de 4 ans est morte asphyxiée dans une boulangerie à Babol, happée par une machine après qu’un morceau de vêtement s’y soit accroché.
Le 7 novembre 2021, Marzieh Taherian, une jeune femme de 21 ans, est décédée à l’usine textile Kavir à Semnan. Son voile s’est coincé dans une machine, tirant violemment sa tête à l’intérieur. (Source : ILNA – 7 novembre 2021)
Dans certains ateliers, les travailleuses sont privées d’équipements de protection : pas de casques, ni de bouchons d’oreilles, les exposant à des lésions auditives et neurologiques.
Sous prétexte d’une meilleure rémunération, certains employeurs forcent ces femmes à travailler sans assurance sociale. Normalement, le système prévoit une cotisation répartie entre l’employeur (20%), l’employée (7%) et l’État (30%), mais dans la réalité, aucun versement n’est effectué, et les travailleuses ne reçoivent rien en retour.
Les travailleuses dans les usines pharmaceutiques sont confrontées à des polluants chimiques et hormonaux. Ces substances provoquent des lésions pulmonaires, des déséquilibres hormonaux et d’autres troubles physiologiques. Certaines femmes développent une pilosité excessive au visage, ou souffrent d’un excès de testostérone, ce qui entraîne également des troubles psychologiques graves.
Et pourtant, malgré tous ces dangers, ces femmes acceptent des salaires dérisoires, parfois inférieurs à 3 millions de tomans par mois, ou des paiements journaliers instables, avec une menace permanente de licenciement immédiat.
Leurs contrats sont souvent des feuilles vierges pré-signées, sans aucune garantie. Les employeurs ne les informent pas des risques liés à leur poste, et elles ignorent les dangers qu’elles encourent au quotidien. (Source : Fararu – 11 janvier 2023)
Manque de protection juridique pour les travailleuses
Dans une déclaration de mai 2022, l’Union nationale des travailleuses dénonçait :
« Certains employeurs, pour des motifs illogiques et illégaux, embauchent des femmes à des salaires inférieurs à ceux des hommes. Faute de choix et confrontées à la pauvreté, les femmes acceptent ces rémunérations en dessous du minimum légal, malgré l’interdiction formelle de telles discriminations par le code du travail iranien. »
Mais dans les faits, à cause de la corruption endémique au sein du régime, la loi écrite a peu de valeur pour les femmes dans le monde du travail.
Témoignages poignants de travailleuses iraniennes
Dans l’ombre des chiffres et des lois ignorées, ce sont les voix des femmes travailleuses iraniennes qui révèlent la brutalité du quotidien. Ces témoignages, rares et précieux, illustrent avec force les conditions de travail oppressantes et l’injustice structurelle qu’elles subissent.
Zahra, 43 ans, fait partie des millions de femmes iraniennes qui effectuent un travail épuisant sans reconnaissance. Elle vit en banlieue de Téhéran et doit parcourir de longues distances chaque jour pour atteindre son lieu de travail. Le visage marqué par la fatigue, elle confie : « Mon mari est également ouvrier. Pourtant, même à deux, nous ne parvenons pas à couvrir nos frais de vie. Son salaire ne suffit que pour le loyer. Je pars de chez moi à 5h du matin pour arriver à 8h au travail, et je travaille jusqu’à 19h30.
Nous travaillons aussi dur que les hommes, mais nos salaires et nos droits ne sont jamais égaux. Pas de primes d’heures supplémentaires, pas d’avantages sociaux équitables. Et quand on proteste, on nous montre la sortie de l’usine…
Après un accouchement, on est automatiquement écartées il n’y a ni congé allaitement, ni aménagement des horaires. » (Source : Jamaran – 24 novembre 2022)
Soudabeh, mère de deux jeunes enfants, est ouvrière sur chaîne d’assemblage dans une usine proche de Téhéran. Son témoignage est tout aussi bouleversant : « Avec mon salaire minimum, je ne peux même pas inscrire mes enfants à la crèche. Les frais mensuels de garde équivalent à mon salaire complet. » Elle travaille plus de 50 heures par semaine, bien que la loi iranienne limite le travail à 44 heures. Pour conserver son poste, elle doit accepter ces conditions illégales. Perdre cet emploi signifierait entamer un parcours du combattant pour en retrouver un. L’un des principaux critères de recrutement dans le secteur privé repose sur le statut marital des femmes. Les employeurs privilégient les femmes célibataires sans projet de mariage ou celles dont les enfants sont grands et n’envisagent plus d’en avoir. (Site Web Jamaran– Novembre 24, 2022)
Simin, employée dans une entreprise de fabrication de pièces automobiles, témoigne avec une lucidité bouleversante : « Une ouvrière, c’est une femme qui pleure chaque jour sur la tombe de ses rêves.
Je travaille depuis l’âge de 18 ans. Mes parents sont devenus handicapés après un accident, et mon frère et moi avons dû assumer toutes les dépenses du foyer.
Lors de mon embauche, la condition était d’être célibataire. J’ai accepté.
D’année en année, je suis devenue de plus en plus dépendante de mon salaire et de cet emploi. Et sans m’en rendre compte, j’avais 48 ans, j’étais toujours célibataire, et ma vie était entre les mains de mon employeur. » L’environnement masculin et dominateur des ateliers industriels a toujours joué contre Simin et ses collègues. Malgré leurs compétences, elles ne bénéficient ni d’évolution professionnelle ni d’augmentation de salaire.
Vahideh de son côté, se présente simplement comme « une femme » et « une ouvrière ». Elle travaille de 7 h à 19 h dans la zone industrielle de Kaveh, où elle est la seule femme parmi 17 hommes dans son département. Elle affirme :« Être derrière un bureau et défendre l’égalité entre hommes et femmes, ce n’est pas très compliqué.
Mais quand on est ouvrière et qu’on revendique cette égalité, c’est un combat de tous les instants. » Depuis 9 ans et demi, Vahideh travaille dans ce complexe industriel.
Son seul souhait ? « Avoir des nuits moins épuisantes… et un portefeuille un peu plus rempli. » (Source : IRNA – 30 avril 2024)
S’attaquer à la racine du problème
En Iran, les problèmes des travailleuses ne peuvent être résolus ni par des réformes, ni par la création de syndicats, contrairement à la majorité des pays du monde. Le régime en place depuis 46 ans, une dictature misogyne fondée sur le cléricalisme, a démontré dans tous les domaines que son seul objectif est de maintenir son pouvoir illégitime et d’intensifier le pillage du pays. Avec cet objectif cynique, le régime n’hésite pas à profiter de la souffrance et de la misère du peuple iranien, comme cela s’est vu pendant la pandémie de COVID-19, lorsque l’importation de vaccins a été interdite, condamnant des milliers de personnes à mourir pour préserver ses intérêts. Cette stratégie vise à épuiser la population, à l’affamer et à l’accabler, afin qu’elle n’ait plus la force de se révolter. Dans ces conditions, la seule voie possible pour soutenir les femmes iraniennes, c’est de reconnaître leur résistance organisée pour renverser cette dictature. Il est aussi crucial d’isoler le régime sur le plan international, pour que le peuple – et en particulier les femmes – puisse poser les bases d’un avenir prospère et libre, à travers une révolution démocratique.
[1] Un « contrat vierge pré-signé (connu en persan sous le nom de « contrat signé en blanc ») est un contrat de travail signé par le travailleur avant que les termes essentiels tels que le salaire, la durée ou la description du poste ne soient remplis, ce qui permet à l’employeur de compléter ou de modifier le contrat à sa guise. Cette pratique est illégale ou relève de l’exploitation dans de nombreuses juridictions et prive les travailleurs de protections fondamentales.
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